ENTREVUE AVEC…

Daniel Paré n’est qu’un seul homme. « Le succès de cette grande vaccination repose sur le personnel soignant du réseau de la santé et des services sociaux. Il va falloir leur rendre ce succès, qui leur revient », a affirmé en entrevue avec la revue le directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec.

Daniel Paré, directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19 au Québec.
Par Karine Limoges
Journaliste
Le Point en santé et services sociaux

Daniel Paré est un gestionnaire aguerri. Depuis plus de dix ans, il a agi comme directeur général d’établissement, puis en tant que président-directeur général du CISSS de Chaudière-Appalaches. Inhalothérapeute de profession, ses capacités de gestion transversale, sa connaissance du réseau et ses aptitudes professionnelles à gérer plusieurs équipes en simultané l’ont propulsé à l’avant-scène de cette campagne de vaccination sans précédent.

La relève étant bien en selle et l’organisation étant des plus stable au CISSS duquel il est à la tête, il se sentait en confiance pour relever ce nouveau grand défi, en remplacement de Jérôme Gagnon, initialement désigné comme directeur de la campagne, qui s’est retiré pour des raisons de santé. « C’était une pure surprise quand j’ai eu l’appel du sous-ministre [Vincent] Lehouillier. J’ai dit oui sur-le-champ en demandant deux jours de transition. »

Imposant défi logistique

Optimiste et confiant, Daniel Paré estime que cette grande campagne de vaccination est avant tout un imposant défi logistique auquel il faut s’adapter, et faire face au changement lorsque nécessaire. Il estime que le réseau québécois de la santé y est bien préparé, à la suite des leçons tirées de la campagne contre la grippe H1N1.

« Nous l’avons fait par le passé, le réseau peut se relever les manches pour y arriver », dit-il dans un souffle d’optimiste.

Dans la foulée d’un ralentissement dans la livraison des nouvelles doses du vaccin de Pfizer/BioNTech, M. Paré admet qu’il s’agit d’une « mauvaise nouvelle » en soi, mais il profite de cette période d’accalmie pour prévoir l’avenir – soit veiller à la planification de l’organisation des sites de vaccination massive.

Au moment d’écrire ces lignes, 155 405 travailleurs de la santé – le personnel de soin en contact étroit avec la clientèle COVID-19 – avaient été vaccinés, soit environ 60 % du personnel. L’objectif est d’administrer une première dose à 325 000 personnes jugées prioritaires, et d’arriver à 75 % de cet objectif (244 000 personnes) d’ici la fin février.

Autre « mauvaise nouvelle », le groupe des travailleurs de la santé visé par le vaccin se doit d’être divisé en deux : la vaccination de 100 000 professionnels de la santé va devoir être reportée au mois d’avril. « Nous terminerons le 1er groupe prioritaire que nous sommes en train de faire vacciner en phase I – ceux en contact direct avec la clientèle COVID – et le deuxième groupe, qui œuvre dans les services, par exemple le personnel de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et de la santé publique, sera remis à avril », explique M. Paré.

Les professionnels du secteur des services, le personnel de soutien, les gestionnaires et le directeur de la campagne de vaccination lui-même seront vaccinés en même temps que la population générale, en fonction de leur catégorie d’âge. Pour le capitaine du navire de la vaccination, l’objectif est clair : il faut prioriser le groupe à risque de mortalité, protéger le réseau en immunisant les travailleurs à pied d’œuvre auprès de la clientèle malade et empêcher les hospitalisations des personnes en résidences privées pour aînés (RPA).

« Tous les travailleurs de la santé sont importants, soulève-t-il toutefois. Il ne faut pas voir cette priorisation comme une classification de l’importance du rôle des différents professionnels. Tous les rôles sont essentiels. On vise plutôt les secteurs plus à risque : les travailleurs dans les milieux d’hébergement et hospitaliers, c’est-à-dire les préposés aux bénéficiaires et les médecins. »

Critiqué au début de la campagne de vaccination par des professionnels de la santé concernant l’ordre de priorisation, M. Paré admet que la logistique de vaccination n’est pas facile. Chose certaine, la priorité, les premiers sites de vaccinations, devaient être les CHSLD.

« Je me suis fié au comité de la santé publique, qui se base sur les meilleures connaissances. Nous avons un grand réseau. Y a-t-il eu des groupes en phase I qui auraient dû être en phase II? Oui. Notre stratégie a dû être adaptée aux annonces de coupure du deuxième vaccin, ce qui démontre notre capacité d’adaptation. Les décisions sont basées sur la science, nous essayons de l’appliquer en ce sens. Ce n’est peut-être pas parfait. »

Vers 80 000 vaccins par jour

Le plus grand défi en ce moment est celui de l’approvisionnement, à l’heure où l’Union européenne tente de contrôler les exportations de vaccins et alors que Pfizer a annoncé un retard dans la livraison de ses vaccins.

« On se fait confier nos doses deux semaines à l’avance, parfois moins, alors qu’on doit en planifier la réception, confirmer aux établissements qu’ils en recevront, avoir des sites de vaccination, des vaccinateurs, obtenir les droits pour vacciner. Il faut un minimum de temps pour tout prévoir, et aujourd’hui, le temps est réduit », constate Daniel Paré.

Actuellement, le système de santé québécois vaccine de 10 à 12 000 personnes par jour. Lorsque les vaccins arriveront massivement, M. Paré prévoit accélérer la cadence à 80 000 vaccins administrés quotidiennement. « C’est là où nous allons avoir besoin de vaccinateurs, de gens sur le terrain, des gestionnaires dans les établissements. » Ces gens vont être les pivots de la réussite de cette vaste campagne de vaccination.

Décret pour contrer la pénurie de main-d’œuvre

Bien conscient de la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans le réseau, Daniel Paré estime que nous aurons besoin de milliers de personnes additionnelles pour mener à bien l’opération. C’est pourquoi il projette de faire appel aux retraités des différents secteurs du réseau et même des étudiants en période estivale.

« Un décret (arrêté ministériel 2020-099) a été adopté en ce sens pour innover face à la pénurie de personnel. Quelque 20 nouvelles professions, autres que les infirmières, médecins et pharmaciens, seront autorisées à vacciner », souligne le directeur de la campagne. On parle notamment des inhalothérapeutes, des ergothérapeutes et des physiothérapeutes qui pourront prêter main-forte, réduire la pression sur le réseau, éviter encore plus de délestage qu’il y en a en ce moment.

En ouvrant ces champs de compétence à divers professionnels de la santé, on vise à éviter le goulot d’étranglement qui ferait autrement suffoquer le réseau, dont le personnel est déjà à bout de souffle. L’adéquation des ressources doit ainsi coïncider avec l’arrivée massive des vaccins – un défi logistique pur qui attend le directeur de la campagne contre la COVID-19.

« Un autre décret – actuellement en attente d’adoption – vise à élargir le champ de pratique de certaines autres professions, qui pourront contribuer à la préparation de vaccins, par exemple les techniciens en laboratoire, les étudiants en soins infirmiers ou encore en pharmacie. Ça nous prendra également beaucoup de personnel de soutien. Le portail Je contribue est la meilleure porte d’entrée », ajoute M. Paré avec emphase.

Registre de vaccination

Depuis la pandémie, les outils technologiques ont connu un essor vigoureux. La campagne de vaccination n’échappe pas à la vague : un registre de vaccination du Québec, le Système d’information pour la protection en maladies infectieuses (SI-PMI), a été mis au point comme principal outil de gestion pour suivre l’évolution du nombre de Québécois vaccinés, ceux qui ont reçu la première dose, ceux qui sont en attente de la deuxième dose.

L’outil permet de savoir entre autres le nombre de personnes vaccinées par jour, les groupes d’âge, les régions, bref la couverture vaccinale. « Ce sont les fruits des apprentissages du H1N1 : l’outil nous permet de faire des projections sur les différentes clientèles, le nombre de personnes à vacciner, la ségrégation de sous-groupes, illustre Daniel Paré. Nous travaillons également sur la notion de passeport vaccinal pour les Québécois qui seront appelés à voyager. »

Chose certaine, nous ne sommes pas près d’un retour à la normale, même lorsque la campagne de vaccination s’accélérera. « La vaccination n’est qu’un outil de plus pour combattre la COVID, nous allons continuer à devoir porter le masque, faire de la distanciation sociale, même quand la grande majorité de la population va être vaccinée », estime Daniel Paré, qui ne s’aventure pas à prédire quand nous pourrons entrevoir un retour à la « normalité ».

12 millions de vaccins

Pour le moment, le Québec n’a accès qu’à deux vaccins, celui de Pfizer et celui de Moderna, qui doivent livrer 12 millions de doses jusqu’en septembre. « D’ici la fin mars, selon nos informations, ces deux vaccins seulement resteront homologués au Canada. À partir d’avril, de mai et de juin, il y a une possibilité de candidats vaccins (Johnson & Johnson, AstraZeneca[1] et autres), qui doivent être homologués par Santé Canada et dont le gouvernement fédéral doit faire l’acquisition. J’y compte et je n’y compte pas, je suis prêt à toute éventualité. »

Ainsi, les projections actuelles sont l’administration de 1,3 million de doses en phase I, soit d’ici la fin du premier trimestre se terminant en mars. Ensuite, 4 millions de doses sont prévues au deuxième trimestre (avril, mai, juin). Puis, le Québec s’attend à recevoir 6 millions de doses jusqu’en septembre. En complément du vaccin, l’immunité communautaire poursuit son œuvre. « Le grand objectif, à terme, nous amène à ce principe-là d’immunité. On veut diminuer, puis éradiquer le virus. »

Quant aux variants du virus qui émergent ailleurs dans le monde, Daniel Paré ne s’en inquiète pas outre mesure. « C’est leur vie de changer, les virus. La mutation, c’est commun, mais en même temps les technologies en lien avec la vaccination sont de plus en plus précises. On s’adapte à la science au fur et à mesure qu’elle évolue. Ce n’est pas un projet linaire. »

Au moment de l’entrevue, les populations des régions éloignées étaient ciblées pour recevoir la vaccination : Chibougamau, les Terres-cries-de-la-Baie-James et, la semaine suivante, le Nunavik. « Nous écoulons les doses que nous avons eues (92,7 % des doses avaient été administrées en date du 25 janvier). Bien qu’il y ait une baisse des vaccins de Pfizer, les vaccins de Moderna, qui sont plus faciles à transporter, continuent à être livrés[2]. La vitesse de vaccination va un peu diminuer, poursuit M. Paré. Toutefois, les prochains arrivages sont prévus vers la mi-février, et nous allons alors repartir la machine. »

Lorsque les vaccins entreront au pays à plein régime, le capitaine à bord a l’ambition d’administrer les doses au fur et à mesure que la province les reçoit. « Si nous recevons 100 000 vaccins en une semaine, nous allons vacciner 100 000 personnes, ce qui va prendre une grande mobilisation du personnel », conclut Daniel Paré.

[1] Au moment de la publication, on apprenait que Santé Canada était en voie de donner son feu vert au vaccin d’AstraZeneca possiblement à la mi-février.

[2] Au moment de la publication, le gouvernement fédéral annonçait également un retard dans l’arrivage du vaccin de Moderna.

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