L’engagement des patients, clé de la transformation numérique en santé

Lorsqu’on pense au futur des soins de santé, on s’imagine rapidement l’intelligence artificielle, les objets connectés, la réalité virtuelle, les plateformes de soins à distance. Ces nouvelles technologies sont perçues comme accélérateurs des changements de paradigmes que l’on observe de plus en plus dans le réseau de la santé, notamment la manière dont on dispense les soins et l’implication grandissante du patient et de son entourage dans ses soins. Le patient est ainsi au cœur de cette grande transformation.

Or, si le patient est au cœur de cette transformation, son engagement face à ces outils numériques en est d’autant plus essentiel.

Maximiser cet engagement doit donc représenter un objectif central afin que les innovations dans lesquelles on investit collectivement aient l’impact désiré. Et pour qu’une personne puisse utiliser une nouvelle technologie, elle doit:

  1. Se sentir apte à l’utiliser
  2. Être en mesure physiquement de l’utiliser

Si on laisse tomber les gens sur l’un ou l’autre de ces plans, on crée des inégalités dans l’accessibilité des soins de demain.

Se sentir apte à utiliser la technologie

L’évaluation que l’on a de notre capacité de réussir une tâche est connue sous le terme d’auto-efficacité. Dans un contexte numérique, cette auto-efficacité se traduit par la confiance d’une personne dans sa capacité à utiliser un outil numérique et peut donc constituer un moteur d’engagement important1. De plus, l’auto-efficacité est influencée par plusieurs facteurs socio-économiques, dont certains sur lesquels nous pouvons avoir un impact significatif2.

L’un de ces facteurs est le soutien social. Ce soutien peut provenir de diverses sources; les personnes qui nous entourent au quotidien, telles que notre famille, nos amis ou nos voisins, sont souvent les premières à pouvoir nous aider. Elles peuvent jouer un rôle crucial dans notre confiance à commencer à utiliser un outil technologique.

Ce soutien peut également émaner de l’équipe clinique du patient. Par exemple, dans un contexte d’hospitalisation à domicile, où une personne aura à se servir d’une tablette et d’objets connectés, le support de premier niveau est souvent fourni par les cliniciens. Cela signifie que l’auto-efficacité des patients peut parfois dépendre de l’auto-efficacité des cliniciens eux-mêmes. Il est donc primordial que notre réseau valorise l’accompagnement et la formation non seulement des patients, mais également des travailleurs de la santé qui devront accompagner les patients.

Un deuxième facteur, dont la responsabilité repose cette fois-ci sur les épaules des innovateurs, entreprises en santé numérique et décideurs du réseau, est l’utilisabilité des outils numériques, c’est-à-dire leur simplicité d’utilisation. Il est essentiel que les outils numériques offrent des interfaces utilisateurs conviviales et accessibles.

Lorsqu’on déploie une nouvelle solution technologique dans le réseau, les travailleurs de la santé bénéficient d’une formation, d’un accompagnement et d’un soutien de leurs pairs. Or, un patient seul à son domicile qui doit utiliser une nouvelle technologie peut vite se retrouver désemparé s’il n’a plus accès dans son environnement immédiat à des gens qui peuvent le soutenir. Dans ce contexte, une meilleure facilité d’utilisation de la solution sera essentielle : les patients se sentiront plus compétents et seront plus enclins à l’adopter.

Être en mesure physiquement d’utiliser la technologie

Pour être en mesure d’utiliser un outil technologique, on doit avoir accès à certaines infrastructures telles qu’internet à haute-vitesse à domicile ou une connexion cellulaire de qualité. Ce qui m’étonne toujours lorsqu’on parle de nouvelles technologies en santé c’est à quel point elles sont avancées comparativement à nos infrastructures de base en technologie de l’information. Nul besoin d’aller très loin pour expérimenter cette “déconnexion”. Il suffit d’à peine s’éloigner des centres urbains pour réaliser à quel point le réseau LTE ou 5G peut rapidement rayonner par son absence. En 2024, 90% des foyers canadiens sont connectés à internet haute vitesse et 91,3 % des Québécois ont accès au réseau 5G. Cet écart entre les individus ou les communautés ayant accès aux technologies de l’information et de la communication se nomme fracture numérique3.

La fracture numérique vécue dans certaines communautés peut augmenter les disparités en santé et contribuer négativement au sentiment d’auto-efficacité des patients. En n’ayant pas accès aux infrastructures de base des technologies de l’information, ils peuvent se sentir exclus et moins compétents renforçant ainsi le cercle vicieux.

Mais plus encore, il est probable que ces patients obtiennent moins d’opportunités face aux bénéfices de ces nouvelles technologies. Par exemple, si une organisation de santé désire implanter un nouvel outil nécessitant l’utilisation d’un appareil mobile et d’une bonne connexion cellulaire, un patient résidant dans une zone avec très peu de couverture cellulaire pourrait ne pas répondre aux critères d’inclusion de ce programme. Évidemment, cet enjeu dépasse la responsabilité des organisations de santé et concerne nos instances gouvernementales. Heureusement, de nombreux programmes gouvernementaux ont été mis en place ces dernières années pour assurer que tous soient connectés. Parmi ceux-ci, l’Opération haute vitesse4 vise à accroître la connectivité dans l’ensemble du Québec, et un investissement de 170M$ a été annoncé pour améliorer la couverture cellulaire5.

Cependant, il est important de garder à l’esprit que même si nous parvenons à atteindre une couverture cellulaire de 100 % du territoire, cette couverture restera fragmentée entre plusieurs fournisseurs. Cela a un impact significatif lorsque les établissements de santé intègrent de nouvelles technologies qui doivent être utilisées à domicile. En effet, chaque établissement doit choisir un fournisseur de données cellulaires qui risque de n’être compatible qu’avec un pourcentage limité de la population résidant sur son territoire.

Ainsi, la fragmentation de la couverture cellulaire souligne les défis persistants auxquels sont confrontés les établissements de santé dans l’intégration efficace des technologies connectées au service des patients.

Pour conclure, s’il y a un élément commun que nous partageons tous en ce qui concerne notre réseau de santé, c’est que nous en serons tous, un jour ou l’autre, un usager. Nous expérimenterons tous le rôle de patient et/ou de proche aidant au cours de notre vie. Ainsi, pour nous, pour nos proches, assurons-nous que ces belles technologies que nous travaillons si fort à déployer puissent servir la population de manière égalitaire, à l’image du caractère universel de notre système de santé.

« Je, Marie-Lou Gagnon, déclare par la présente détenir des intérêts dans l’entreprise Braver, laquelle j’ai fondée, susceptibles de me placer en situation de conflit d’intérêt apparent ou potentiel. Ma collaboration à titre de chroniqueuse pour la revue Le Point en santé et services sociaux demeure une initiative personnelle. Bien que mon rôle d’entrepreneure influence ma perspective et teinte ma plume lorsque je rédige mes chroniques, je me dissocie complètement de mon entreprise. Physiothérapeute de formation, j’ai aussi complété une maitrise en administration des affaires à l’Université Laval. Je m’intéresse particulièrement à la collaboration en santé, l’innovation et la création d’impact pour le bien commun.”


1 Auto-efficacité technologique

2 Technology Adoption by Older Adults: Findings From the PRISM Trial

3 Qu’est-ce que la fracture numérique ?

4 L’organisation et ses engagements

5 L’organisation et ses engagements