Marie-Lou Gagnon M. Sc. en physiothérapie et MBA

Selon la théorie de Darwin, l’évolution est un processus continuellement à l’œuvre dans le monde du vivant qui s’assure que les espèces soient aussi adaptées que possible à leur environnement. De la même manière, depuis les dix dernières années, l’évolution s’opère dans notre société qui exerce de plus en plus de pression sur notre réseau de santé. L’augmentation remarquable du nombre de visites aux urgences dans tous les groupes d’âge entre 2022 et 2023 n’en est qu’un exemple. 1

Ainsi, à une époque où les ressources se font de plus en plus rares, où les départs à la retraite s’enchaînent et où les hôpitaux dépassent fréquemment leur capacité, nos organisations de santé ressentent de plus en plus le besoin de s’adapter, et ce, rapidement.

« Souvent les gens me demandent pourquoi il faut innover? La réponse est simple. L’innovation est essentielle, car les besoins des gens évoluent. » — Kathy Malas

Cette citation m’a grandement inspirée, car elle positionne l’innovation non plus comme une action réservée aux plus visionnaires, mais plutôt comme une réalité inévitable de tout écosystème en changement. Or, dans le secteur de la santé, l’innovation est particulièrement difficile à déployer, entre autres car c’est un écosystème où de nombreuses parties prenantes sont impliquées et où il peut être compliqué de toutes les coordonner adéquatement dans le but d’adopter et de mettre en œuvre des innovations. Également,
la tolérance au risque est naturellement plus faible puisque les conséquences d’un échec dans le secteur de la santé peuvent souvent impacter directement la vie des gens.

Mais alors comment les organisations de santé peuvent-elles réussir à innover tout en continuant de répondre à leur mission première de manière sécuritaire et efficace ?

Dans mes lectures, je suis tombée sur cette équation: People + Context = Innovation. Afin d’en arriver à cette équation, le “Center for creative leadership” a conduit une enquête auprès de 485 leaders dans différentes organisations. Ils ont identifié 5 différences clés entre les organisations qui réussissent à innover efficacement et celles qui rencontrent plus de difficultés, dont deux qui sont particulièrement pertinentes pour les établissements québécois de santé d’aujourd’hui:

  1. Des leaders qui encouragent l’innovation
  2. Une culture qui promeut l’innovation
Des leaders qui encouragent l’innovation

L’innovation comporte inévitablement son lot de risques. Qu’il s’agisse du risque de se tromper, de perdre en efficacité ou de devoir recommencer, innover c’est accepter que le chemin ne soit pas direct. C’est grâce à ces détours que l’on pourra atteindre de meilleurs résultats. Cependant, pour innover, les leaders doivent créer un environnement où les gens se sentent en sécurité psychologique.

La sécurité psychologique d’une équipe est la conviction partagée par ses membres qu’il est acceptable de prendre des risques, d’exprimer ses idées et ses préoccupations, de poser des questions et d’admettre ses erreurs, le tout sans crainte de conséquences négatives.2

Il est donc primordial d’établir un climat favorisant la communication ouverte, ce qui est, notons-le, plus facile à cultiver au sein de petites équipes. Cependant, l’innovation, particulièrement dans les organisations de santé, implique souvent de nombreuses parties prenantes : diverses directions, cliniciens, gestionnaires, personnel des ressources informationnelles, de l’innovation, des archives, de la recherche et même de l’industrie. Dans ce contexte complexe, établir un climat de confiance et de sécurité psychologique devient un défi considérable, soulignant ainsi l’importance cruciale du rôle des leaders.

De plus [dans le secteur de la santé], il a été démontré que la sécurité psychologique était associée à de solides relations interpersonnelles et à une culture efficace incluant la collaboration, la confiance et l’innovation, ce qui favorise la sécurité des patients.3

Sur le chemin de l’innovation, on rencontre immanquablement des moments où les défis semblent insurmontables et où l’inconfort du changement devient épuisant. C’est précisément dans ces instants critiques que les leaders doivent soutenir leur équipe et raviver la flamme du «pourquoi» derrière l’innovation.

Une culture qui promeut l’innovation

Mettre en place une culture qui encourage l’innovation, ce n’est pas seulement de nommer l’importance d’innover, mais bien de la nourrir et de développer intentionnellement un ensemble de valeurs, de croyances, d’attitudes et de comportements communs dans le milieu de travail. L’un des aspects fondamentaux du succès d’une innovation est son adoption dans le monde réel, ce qui implique très souvent son acceptabilité pour les gens sur le terrain. Par exemple, dans le réseau de la santé, le succès de beaucoup d’innovations dépend fortement de l’engagement des cliniciens. Or, puisque les cliniciens ont comme mission première de prodiguer des soins aux patients de la manière la plus efficiente, humaine et sécuritaire possible, comment peuvent-ils être engagés dans l’intégration de l’innovation si celle-ci comporte un risque pour leur capacité à prodiguer ces soins? C’est en considérant leur réalité et en y adaptant l’environnement qu’on peut y arriver. Par exemple :

  • Autoriser les cliniciens à diminuer temporairement leur performance lors de l’implantation de nouvelles innovations ;
  • S’il n’est pas possible d’accepter une baisse de productivité, leur offrir des ressources additionnelles qui leur permettront de maintenir la même performance ;
  • Établir un processus qui permettra aux cliniciens de nommer leurs difficultés et leurs expériences ;
  • Leur permettre de comprendre le cycle d’innovation et leur rôle dans celui-ci.

La réussite des innovations passe forcément par les êtres humains qui l’imagineront, qui la bâtiront, qui la planifieront, qui l’intégreront, qui la mesureront et qui l’utiliseront. Il s’agit d’une grande chaîne qui nécessite l’implication de plusieurs, vivant tous des réalités différentes. La collaboration fructueuse de toutes ces personnes demande du leadership et une vision commune à ne jamais perdre de vue. Cette vision, nous la partageons tous : offrir les meilleurs soins possibles aux patients, et ce, même dans un environnement en constante évolution.

« Je, Marie-Lou Gagnon, déclare par la présente détenir des intérêts dans l’entreprise Braver, laquelle j’ai fondée, susceptibles de me placer en situation de conflit d’intérêt apparent ou potentiel. Ma collaboration à titre de chroniqueuse pour la revue Le Point en santé et services sociaux demeure une initiative personnelle. Bien que mon rôle d’entrepreneure influence ma perspective et teinte ma plume lorsque je rédige mes chroniques, je me dissocie complètement de mon entreprise. Physiothérapeute de formation, j’ai aussi complété une maitrise en administration des affaires à l’Université Laval. Je m’intéresse particulièrement à la collaboration en santé, l’innovation et la création d’impact pour le bien commun.»


1 NACRS emergency department visits and lengths of stay

2What Is Psychological Safety?

3 A concept analysis of psychological safety: Further understanding for application to health care