En mars 2020, l’arrivée des premiers cas de COVID-19 au Québec a considérablement ébranlé les pratiques professionnelles des infirmières. Plus grand groupe de professionnels en santé et services sociaux, elles sont en contact étroit avec les patients. En première ligne de la lutte à la COVID-19, certaines infirmières évoluent dorénavant dans un environnement de travail qui ne leur est pas familier. Elles doivent composer avec des directives contraignantes, souvent en effectifs réduits, en plus d’être exposées à une maladie hautement transmissible et potentiellement grave pour elles, leurs proches et les patients qu’elles soignent. Leurs perceptions quant à leurs pratiques professionnelles sont importantes pour la qualité des soins. Il importe ainsi de maintenir les meilleures conditions de pratique qui soient, ce qui constitue un défi pour les gestionnaires qui composent avec des changements constants et beaucoup d’incertitudes pour faire face à la pandémie.

Auteures principales

Marianne Beaulieu, Professeure adjointe, Faculté des sciences infirmières, ULaval
Catherine Côté, Étudiante à la maîtrise, Faculté des sciences infirmières, ULaval

Coauteurs : Virginie Breton, Infirmière, présidente du CII, CISSS-CA, Catherine Pépin, Infirmière en pratique avancée, volet recherche en sciences infirmières, CISSS-CA , Liliane Bernier, Directrice des soins infirmiers, CISSS-CA, Yves Roy, Directeur adjoint des soins infirmiers, volet pratiques professionnelles et développement clinique, CISSS-CA,  Conseil des Infirmières et Infirmiers du CISSS-CA

Pour décrire la perception des infirmières quant à la qualité de leurs pratiques professionnelles en contexte de pandémie et dégager des pistes de solutions, le Conseil des Infirmières et Infirmiers (CII) du CISSS de Chaudière-Appalaches a préparé et diffusé un questionnaire en ligne, entre le 23 novembre et 7 décembre 2020. Au total, les 261 répondantes ayant rempli le questionnaire sont en moyenne âgées de 39 ans et comptent 11 ans d’ancienneté. Les réponses aux questions fermées ont été analysées avec des statistiques descriptives, alors que les questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Plusieurs constats se dégagent des résultats.

Perception d’une diminution de la qualité des pratiques professionnelles

Près de la moitié des infirmières qui ont rempli le questionnaire (n=127; 48,7%) perçoivent une diminution de la qualité des pratiques professionnelles en contexte de pandémie. Elles ont principalement identifié les compétences (48,8%), la conformité et les normes professionnelles (38,6%) ainsi que l’éthique et la déontologie (30,7%) comme les aspects les plus affectés de leur pratique professionnelle (voir figure 1).

 Figure 1. Aspects de la qualité des pratiques professionnelles qui ont diminué en contexte de pandémie (n=127)

Bons coups

Malgré les nombreux défis entraînés par la pandémie, plusieurs bons coups ont été nommés par les infirmières. L’élément le plus apprécié correspond au soutien social (n=131) se déclinant sous l’angle opérationnel par l’entraide, le travail d’équipe, le partage d’informations, la répartition des tâches et la collaboration et, sous l’angle émotionnel, par le soutien et l’esprit d’équipe, les attitudes positives et la mise en place d’actions favorisant un bon moral.

« Mes collègues en zone rouge sont extraordinaires. Ils arrivent à tirer du positif de cette situation et à être de bonne humeur malgré la dégradation des conditions de travail. » De plus, que ce soit grâce à la formation, la capacité d’adaptation, la réussite à maintenir les services et la priorisation des actions basées sur les besoins de la clientèle, l’autonomie décisionnelle (n= 29) a elle aussi été décrite comme un bon coup. « On a fait des simulations de cas en début de pandémie. »

D’ailleurs, il en est de même pour la communication et les informations (n=18) qui incluent les nombreux suivis et les rencontres. Se disant débordées, les infirmières ont tout de même apprécié certaines mesures qui ont aidé à la gestion de la charge de travail (n= 11) dont un ajustement des effectifs, l’utilisation de la téléconsultation ainsi que l’accessibilité à du matériel adapté.

Mentionnés plus faiblement, certains bons coups reliés étroitement aux supérieurs ont aussi été rapportés. Ils se rattachent aux différentes formes de soutien social perçu (n=6), qu’il soit émotionnel, informationnel et opérationnel. « Mon gestionnaire comprend notre réalité. » Les infirmières ont aussi élaboré sur certains aspects de la pandémie elle-même (n= 33) dont la prévention et le contrôle des infections, la mise en place de nouvelles mesures, le respect des règles et l’absence d’éclosion.

Pistes d’amélioration

Les infirmières ont proposé plusieurs pistes pour l’amélioration des pratiques professionnelles en contexte de pandémie. Les premières visent à réduire la surcharge (n=94) : l’augmentation du personnel et du temps disponible pour effectuer le travail et prendre soin des patients, la diminution des ratios infirmière-patients et du temps supplémentaire, l’évitement des déplacements entre les unités de soins, l’amélioration de la stabilité des équipes, ainsi que l’accès à des ressources matérielles de qualité. « La charge de travail est à revoir à la baisse, car nous avons la même […] qu’en temps « normal », mais avec beaucoup plus de choses à faire. »

Suivent ensuite les propositions en lien avec une plus grande autonomie professionnelle (n=30) : offre de formations et respect du champ de pratique infirmier. Plusieurs pistes portent aussi sur le soutien social des supérieurs (n=25) sur les plans informationnel, opérationnel et émotionnel. « Lorsqu’il y a une éclosion, nous sommes les premiers blâmés. Nous avons besoin d’encouragement et de respect ». D’autres propositions portent sur une amélioration du partage de l’information et de la communication (n=19), une plus grande reconnaissance (n=11), un soutien social opérationnel entre collègues (n=4) et des aspects spécifiques à la pandémie (n=21).

 

Tableau 1. Comparaison des dimensions de pistes d’améliorations et de « bons coups »

Dimensions Bons coups

n(%)

Pistes d’améliorations

n(%)

Charge de travail 11 (5%) 94 (46%)
Autonomie décisionnelle 29 (13%) 30 (15%)
Soutien entre collègues 131 (57%) 4 (2%)
Soutien des supérieurs 6 (3%) 25 (12%)
Information et communication 18 (8%) 19 (9%)
Reconnaissance 0 (0%) 11 (6%)
Pandémie elle-même 33 (14%) 21 (10%)
Total 228 (100%) 204 (100%)
Implications

Si les résultats montrent l’importance du soutien des collègues pour faire face à l’adversité, ils suggèrent aussi que certains besoins sont moins bien comblés. La comparaison entre les « bons coups » identifiés dans leurs milieux et les « pistes d’améliorations » proposées par les infirmières montre un déséquilibre (voir tableau 1).

En effet, on note que les infirmières estiment que la surcharge de travail, le manque de soutien des supérieurs et le manque de reconnaissance nuisent à la qualité des pratiques professionnelles et nécessiteraient des interventions au sein de l’organisation, alors que peu de bons coups ont été remarqués à ces niveaux. Elles identifient une variété de problématiques qui nuisent à la qualité de la pratique professionnelle en temps de COVID-19 dans les fondements mêmes des soins infirmiers.

Démontrant que les infirmières sont mises à rude épreuve par la pandémie et que les soins prodigués aux patients pourraient en être altérés, il importe de tirer des leçons de cette crise sanitaire afin de développer des pratiques efficaces permettant d’affronter les contextes difficiles rencontrés en soins infirmiers.