Au congrès de la Société américaine de l’oncologie clinique (ASCO), en 2017, un groupe de chercheurs présentaient des résultats qui allaient prouver toute la valeur résidant dans les données générées par les patients: en fournissant régulièrement des informations sur leur qualité de vie et leurs symptômes pendant un traitement de chimiothérapie, les patients vivaient plus longtemps. Un gain de 5 mois, en moyenne.
Alexandre Chagnon, Pharmacien Fondateur, Question pour un pro

La mécanique est très simple. Les données générées par les patients permettent le déclenchement d’alertes du côté de l’équipe traitante, ce qui permet des interventions plus rapides et mieux ciblées.

En comparaison aux soins standards, cette étude randomisée contrôlée démontre que d’outiller les patients avec la capacité de générer des données à partir de leur domicile peut améliorer leur vie.

Depuis, des milliers d’autres études ont été publiées au sujet des PROMs et des PREMs, expressions qui signifient patient-reported outcome measures et patient-reported experience measures, respectivement. En diabète, sclérose en plaques, douleur chronique et antibiothérapie, notamment, ces études démontrent toute la valeur des données générées par les patients.

PROMs au Québec

Plus près de chez nous, cela s’est traduit par plusieurs initiatives, dont l’approche de soins par paliers figurant au Programme Québécois Pour les Troubles Mentaux (PQPTM). Dans ce dernier, des mesures en continu provenant notamment de questionnaires complétés par le patient permettent de s’assurer que chaque patient reçoit le bon niveau d’intensité thérapeutique (auto-soins, consultation en première ligne, prise en charge en deuxième ligne, etc.).

Le phénomène des PROMs est aussi à l’origine du remboursement, à partir de 2017, d’une application mobile du nom de ManageMyPain par l’assureur GreenShield Canada. Cette application téléchargeable sur Android et iOS permet au patient de qualifier sa douleur de façon régulière à l’aide d’un questionnaire, et a démontré une augmentation significative du score fonctionnel chez les patients qui l’utilisent.

Finalement, les données générées par les patients mènent également à des opportunités de monétisation chez les intervenants de la première ligne, ce qui encourage l’adoption des PROMs en contexte de soins. Mentionnons par exemple les pharmaciens qui, depuis 2017, peuvent être rémunérés pour l’analyse de ce type de données et d’examen de laboratoire dans le cadre d’une prise en charge du diabète de type 1, du diabète de type 2, de l’hypercholestérolémie, de l’hypertension, de la migraine chronique et de l’hypothyroïdie chez leurs patients.

Utilisation secondaire des données

Les exemples énumérés ci-haut font tous référence à ce qu’on qualifie d’utilisation primaire des données, c’est-à-dire qu’elles servent directement le patient les ayant générées.

Un pan entier de recherche est maintenant dédié à l’utilisation secondaire des données, un phénomène par lequel les données générées par un patient servent à un autre, dans un contexte différent.

Un exemple concret fréquemment cité est celui de Google Flu Trends représentant la publication d’un rapport de prédiction des épidémies de la grippe saisonnière. Lancé en 2008, ce service utilisait les recherches effectuées par les patients via le moteur de recherche Google pour prédire les «vagues» de grippe saisonnière et ainsi aider les départements de santé publique de 25 pays à préparer les initiatives visant la réduction des infections.

Ce service a été interrompu en 2015, après quelques ratées qu’on attribue notamment à la médiatisation de l’initiative (ce qui influença la nature des recherches dans le moteur de recherche et brouilla le signal qu’on tentait d’isoler chez Google).

Depuis 2015, plusieurs initiatives tirant profit de l’utilisation secondaire des données ont néanmoins été lancées, de telle sorte que la loi modernisant les dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (Loi 25), adoptée en septembre 2021, inclut des dispositions permettant l’utilisation secondaire des données, notamment dans le cadre de la recherche et de l’amélioration du système de la santé.

 

Un potentiel sous-exploité

Depuis 2017, une quantité toujours croissante génère des données de façon régulière.

Comment ?

Majoritairement en interagissant avec du contenu santé disponible via Internet ou en utilisant des applications mobiles disponibles via l’App Store.

Déjà en 2016 et selon le CRTC, 93% des Canadiens et des Canadiennes utilisaient le web pour s’informer au sujet de leur santé. Avant la pandémie à COVID-19, 1 patient sur 3 avait une application mobile en santé sur son téléphone intelligent. En 2020, en plein dans la pandémie, cette valeur a grimpé à 50% de la population. Au moment d’écrire ces lignes, on ignore encore si la pandémie a également eu comme effet d’augmenter la proportion de patients utilisant Internet pour s’informer au sujet de leur santé.

Pour le moment, ce sont surtout les géants du web qui profitent de ces données. Leur collecte permet à Google et Apple d’améliorer leur offre de services en créant du nouveau contenu ou des nouvelles applications (par exemple le service de suivi du cycle menstruel récemment lancé dans l’application Santé d’iOS), ou en lançant de tout nouveaux services. L’exemple de Apple Health Record, maintenant disponible aux Canadiens et permettant à ces derniers de conserver sur leur iPhone l’essentiel de leur dossier de santé, illustre comment le phénomène d’utilisation du web et des applications mobiles en santé par les patients peut servir de voie de passage pour ces organisations pour modifier les pratiques professionnelles.

Un nouveau plan de match

Pour éviter que les données générées par les patients ne servent que des multinationales qui visent d’abord à extraire le maximum des patients qui utilisent leurs produits et services, il faut assurer des incitatifs financiers adéquats pour que les professionnels de la santé puissent ouvrir le dialogue à ce sujet avec leurs patients, s’outiller d’un logiciel permettant la collecte automatisée et à distance des données générées par les patients et intervenir auprès du patient pour atteindre les cibles thérapeutiques attendues.

Au Québec, déjà plusieurs logiciels permettant la collecte de données à distance sont disponibles aux cliniciens, dont Takecare de Greybox, LéoMed, CareSimple et la solution de télésoins à domicile de Orion.

Il manque toutefois des incitatifs financiers pour les professionnels dans plusieurs conditions de santé. Par exemple, au moment d’écrire ces lignes, le pharmacien n’est payé que pour suivre 6 conditions de santé. Par ailleurs, les professionnels de la santé n’ont pas la chance d’être formés sur l’utilisation de tels logiciels dans le cadre de leur formation universitaire, ce qui réduit d’autant plus l’adoption de pratiques encourageant la valorisation des données par ces derniers.

Avec une bonne formation en main, et des incitatifs financiers convenables, les professionnels de la santé du Québec pourraient bien nous permettre de tirer le maximum des données que nous générons tous comme patients.