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Association médicale du Québec

« La plupart du temps, les gestionnaires issus du domaine médical ne parlent pas le même langage, que les gestionnaires d’expérience, qu’ils proviennent de secteurs cliniques ou administratifs », explique la Dre Michèle Pelletier, une des cofondatrices du Regroupement de médecins gestionnaires de l’Association médicale du Québec et ancienne directrice de l’organisation des services et des affaires médicales à l’AQESSS (la défunte Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux).

D’où l’importance de les soutenir et de les former ensemble, et ce, à tous les niveaux, que ce soit pour un poste de cadre supérieur ou celui d’un médecin responsable dans un groupe de médecine familiale (GMF).

Se parler pour travailler ensemble

Sur le terrain, la cogestion entre les gestionnaires cliniques et les gestionnaires administratifs a fait ses preuves. En misant sur des programmes clientèle par exemple qui permettent à des gestionnaires de couvrir tout le continuum de soins, que ce soit à l’urgence, à l’hôpital, en réadaptation, en hébergement, etc.

Ou en précisant les champs d’autorité de chacun dans un GMF. Pas facile en effet pour un médecin de savoir de qui relève un professionnel de la santé affecté par un CISSS et qui « pense pouvoir choisir ses horaires par exemple », raconte le Dr Daniel Roux, ancien médecin responsable du GMF – Centre médical de la Nouvelle-Beauce et qui siège aujourd’hui au Département régional de médecine générale (DRMG) de son territoire.

« Au début, nous avons été confrontés à plusieurs ambiguïtés pour savoir qui est en autorité. Mais si le médecin responsable travaille main dans la main avec le gestionnaire du CISSS dans une approche collaborative, ça enlève beaucoup d’interrogations », souligne-t-il. La cogestion permet notamment une meilleure entente, moins d’imbroglios et de conflits, y compris avec les médecins, « parce que quand c’est clair avec le médecin responsable, cela devient clair avec l’équipe de médecins », précise le Dr Roux. Enfin, ce dialogue aide aussi pour la gestion des activités cliniques.

Avoir par exemple dans son équipe un professionnel qui ne veut pas vraiment travailler avec une clientèle spécifique en raison de ses compétences ou de ses préférences est ingérable. « Il faut un dialogue avec le gestionnaire du CISSS pour qu’il connaisse notre patientèle, sinon on ne peut pas donner le service pour lequel on est là et c’est tout le travail d’équipe qui en souffrira. Il faut s’assurer d’avoir les bonnes personnes au bon endroit pour répondre aux besoins de nos patients », assure le Dr Roux.

Comprendre les contraintes des autres

Tout cela ne se fait évidemment pas en un claquement de doigts. La cogestion n’est pas encore la norme partout. « Historiquement, l’administratif a très peu consulté le clinique en matière de développement ou de réorganisation des services et quand il le faisait, c’était le plus souvent en contexte de contraction budgétaire, donc c’est sûr que les médecins ont gardé un certain scepticisme », explique la Dre Pelletier. De leur côté, « les médecins sont habitués à travailler en silo et souvent à donner des directives. Mais quand on travaille avec des équipes de médecins et d’autres professionnels, le style de gestion doit être plus collaboratif », précise le Dr Roux.

Heureusement les temps changent. « L’interdisciplinarité a fait en sorte que les médecins se sont ouverts à certaines contraintes et, à défaut de les accepter, ils les comprennent, ce qui est déjà une belle avancée », souligne le Dr Roux. Pour la Dre Pelletier, les PDG et les directeurs aussi font beaucoup d’efforts pour « se rapprocher et fournir de l’information. Ce n’est pas aussi irréconciliable qu’à la fin des années 90 ou au début des années 2000 quand le directeur général convoquait les chefs de département surtout pour leur annoncer de mauvaises nouvelles. Aujourd’hui, ils se rencontrent plus régulièrement et regardent ensemble les données disponibles. »

Les deux groupes ont en effet compris l’intérêt d’adopter un style de gestion adaptable prenant en compte non seulement le domaine administratif, mais également le domaine clinique. « Quand les médecins deviennent plus compétents et plus stratégiques, cela leur permet de participer davantage à l’organisation des établissements. Or, les médecins vont davantage s’impliquer s’ils ont la conviction d’avoir de l’influence et de pouvoir changer des choses », déclare la Dre Pelletier.

Et rien de tel que d’avoir des formations et un langage commun pour voir ce qu’il est possible de faire ensemble. Actuellement, le curriculum des études de médecine prend encore peu en compte le besoin de former des médecins gestionnaires. Les étudiants en médecine savent peu comment fonctionne le système de santé. Et si au cours de leur formation, ils sont mieux préparés à travailler en collaboration avec les autres professionnels, « il va falloir également leur montrer ce que cela implique en matière de collaboration avec les instances administratives » conclut le Dr Roux.