Vol 8.2 L’évolution du profil de gestionnaire

AHMED BENHADJI, coordonnateur
Service de la formation et du développement des compétences
Association des gestionnaires des établissements
de santé et de services sociaux (AGESSS)

Les gestionnaires,à tous les niveaux des organisations, doivent régulièrement adapter l’offre de service aux besoins des usagers.

Alors que les organisations du réseau de la santé et des services sociaux ne cessent de se transformer sous l’effet conjugué des lois et des réformes, de l’utilisation croissante des technologies ainsi que du changement des caractéristiques de la main-d’oeuvre et des clientèles, est-ce que le profil des gestionnaires responsables de la coordination de cette offre de services a lui aussi changé ? Quel est alors le visage de ces nouveaux gestionnaires ? Gèrent-ils et mènent-ils leurs équipes différemment ? En outre, comment parviennent-ils à s’adapter et à performer à l’intérieur de la complexité grandissante de leurs environnements ? Voilà quelques questions et sujets d’intérêt que le présent numéro tente d’éclairer.

Qui sont alors ces nouveaux gestionnaires ?
Les nombreux départs à la retraite des gestionnaires, amorcés avec force depuis les cinq dernières années, ne cessent de transformer le profil sociodémographique des employés et des gestionnaires. De fait, toute chose étant égale, les nouveaux gestionnaires occupent leur premier emploi en gestion à un âge moins élevé que leurs prédécesseurs, soit à moins de 40 ans, et ce, dans 14 % des cas. Par ailleurs, les fonctions d’encadrement, toutes catégories confondues, sont occupées de plus en plus par des femmes. En effet, selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) au 31 mars 2011, les femmes occupent presque les deux tiers des fonctions d’encadrement intermédiaire, 60 % des fonctions de direction supérieure, plus du quart des fonctions de cadre médical et presque la moitié (47,4 %) de l’ensemble des fonctions de hors cadres, dont des postes de directrice générale et de directrice générale adjointe.

Plus scolarisés mais encore en apprentissage de la gestion
Les cadres de niveau d’encadrement intermédiaire forment près de 81% de l’ensemble du personnel d’encadrement, luimême établi à 12 202 gestionnaires. Ces gestionnaires occupant en majorité des fonctions dites clinico-administratives (infirmières–chefs d’unité, coordonnateurs de programmes clientèles, etc.) possèdent pour la majorité d’entre eux une formation universitaire de 1er cycle accompagnée parfois d’une formation complémentaire en gestion ou en administration de la santé. La relève appelée à remplacer les cadres quittant pour la retraite est formée de plus en plus de jeunes et ambitieux aspirants gestionnaires. Certes, ces derniers sont bien formés au plan clinique, mais peu ou pas du tout expérimentés dans le domaine de la gestion de la complexité et du soutien aux équipes.

Pour les personnes qui l’ont expérimenté, le passage du rôle de professionnel clinique ou administratif à celui de gestionnaire n’a pas toujours été sans défis ni écueils. Qu’on pense juste un instant au nombre élevé d’employés à superviser dans le cadre d’un programme clientèle par exemple, à la localisation multisite des employés, à l’expression continue de nouvelles attentes de gestion de la proximité et de responsabilité populationnelle. Le décalage entre l’anticipation du rôle attendu du gestionnaire et de sa réalité (rôle réellement joué) est parfois si grand, que certains nouveaux cadres se demandent plus d’une fois s’ils ont fait le bon choix en termes de cheminement de carrière.

Fort heureusement, on assiste depuis quelques années à une plus grande volonté des directions d’établissement et des agences de santé de mieux soutenir en amont et aval leurs cohortes de nouveaux gestionnaires. Les programmes régionaux et nationaux de préparation de relève fondés sur des profils de compétences liés aux rôles attendus en sont un exemple. Les stratégies de développement articulé autour de l’acquisition et l’expérimentation de comportements de gestion telles que le coaching, le codéveloppement professionnel, la conduite de projets et de mandats organisationnels d’envergure vont également dans ce sens.

Vers une approche de gestion et un profil de leadership différents ?
Le visage des gestionnaires change, mais est–ce que leur approche de la gestion du leadership change aussi ? La réponse est mitigée. C’est certainement oui au plan du désir et de la volonté de faire autrement, mais la réponse est aussi peu ou pas assez au plan de l’exécution ! À terme, cette situation n’arrangera pas les choses et deviendra inéluctablement source de tensions entre les gestionnaires et les employés supervisés ; les gestionnaires en attente d’implication dans la tâche et de résultats de la part des employés, et ces derniers en attente de traitements personnalisés correspondant à leurs valeurs et besoins de défis, de reconnaissance, de rétroaction et d’autonomie.

Outre l’arrivée sur le marché du travail d’une main-d’oeuvre caractérisée par la diversité au plan culturel, générationnel et professionnel, d’autres facteurs poussent fortement sur la mise à jour des rôles et profils de compétences des gestionnaires. L’omniprésence et le caractère incontournable des technologies d’information et de communication (TIC) dans les processus de communication intra et interorganisationnelle – les approches « populationnelles » d’organisation de l’offre de santé et de services – les attentes du public envers les gestionnaires pour une grande transparence – une éthique à toute épreuve et plus d’imputabilité pavent-ils la voie à la transformation du rôle de gestionnaire ? Oui, sans doute. Souhaitons maintenant que les qualités et compétences découlant de ces nouveaux rôles soient formellement intégrées au profil de recrutement et de développement de la relève. Sur le terrain, soyons cependant patients avant de voir ce nouveau profil s’actualiser en comportements de gestion et en résultats probants.