Vol 9.2 La gestion dans les établissements à l’ère du Web 3.0

MICHÈLE ST-PIERRE, professeure titulaire, département de management
Faculté des sciences de l’administration, université Laval

Oui le Web fait aujourd’hui partie de notre vie quotidienne, au travail comme à la maison. C’est un outil de consultation, d’échange, de partage d’information et même de formation. Mais, quels sont les impacts de tout ce flot de données, d’opinions, d’informations, de connaissances sur le savoir scientifique, les pratiques médicales, les modes d’interactions avec le patient-utilisateur, l’interface entre les professionnels de la santé ? Et avec l’évolution rapide des technologies, quelles seront les conséquences sur l’ensemble des modalités d’organisation et de livraison des soins et des services ? À quoi le gestionnaire du réseau de la santé et des services sociaux sera-t-il confronté à l’ère de la santé 3.0 ? Ce numéro relate certaines expériences et amorce une réflexion autour de ces questions.

Prospectives et le Web 3.0 en santé

À quelle vitesse sommes-nous passés du Web 1.0 au Web 2.0 ! Aujourd’hui, en effet, nous ne nous contentons plus de recevoir passivement de l’information compilée par d’autres, nous ajoutons et créons du contenu à travers divers médias qui deviennent de véritables espaces de discussion, d’expression, d’échanges et de débats. On dit que c’est l’émergence d’une intelligence collective. Mais tout ne s’arrête pas là ; après le Web 2.0 vient le Web 3.0. Si pour certains le Web 3.0 c’est la liaison de tous les sites Web entre eux de manière à personnaliser les contenus, que pour d’autres c’est la dotation d’une puce électronique aux objets de manière à ce qu’ils « communiquent » entre eux, ou la diffusion des contenus 3D en temps réel, il n’en demeure pas moins que tout tourne autour de la connectivité entre les machines.

Dans le secteur de la santé, plusieurs annoncent qu’en plus de pouvoir discuter avec d’autres patients du traitement de sa maladie, de demander des contre-expertises et d’évaluer les médecins, la connectivité entre les machines permettra au patient d’obtenir son profil personnel, de s’autodiagnostiquer, de surveiller lui-même l’évolution des traitements et même de mesurer son état de santé avec différents marqueurs. Quelles que soient l’ampleur et l’étendue des prospectives, le trait commun des changements envisagés réside dans l’accroissement de l’indépendance des patients face aux institutions de santé et aux professionnels dans la gestion de leurs soins de santé, indépendance d’autant soutenue, dans notre système de santé, par les limitations importantes d’accès, de continuité et de globalité des soins. Parallèlement à ce phénomène, se transforment par ailleurs la relation et les échanges entre soignants et soignés de telle façon que les responsabilités des uns et des autres face à la santé et au traitement sont appelées à se modifier, ce qui annonce des bouleversements en profondeur sur le plan des pratiques dans le système de santé.

Et le gestionnaire des établissements du réseau de la santé et des services sociaux ?

Ainsi, cet engagement des patients à davantage autogérer leurs soins de santé soulève, pour le gestionnaire des établissements du réseau, des défis de taille qui sont liés à un élargissement des connaissances résultant de la mise en relation des données sur la santé et d’un développement rapide des outils de communication. Un changement fondamental de philosophie d’organisation et de gestion des soins et des services est alors sous-tendu par une prise en charge différente de la part des professionnels de la santé. Si plusieurs prévoient que les professionnels auront dorénavant un rôle de guide afin que le patient puisse prendre une décision de qualité, à partir d’interventions en présence et virtuelles, de nouvelles coopérations entre soignants-soignés et coordinations entre soignants devront inévitablement être instaurées. Ainsi, ces nouveaux modes d’interaction participeront à une redéfinition des conditions légales et normatives d’exercice et à une reconsidération des systèmes d’information et de communication accessibles, sécuritaires et fiables. Dans ces conditions, le gestionnaire aura à gérer un monde nouveau qui s’annonce déjà, qu’on le veuille ou non, comme nous le constaterons à la lecture des articles de cette édition.